Manier l’exercice de part et d’autre

Les étudiants de l’ENSP prennent des photographies et les auteurs de l’ENS LSH, à la vue de ces "images" écrivent des textes. Leur mission n’est pas d’expliquer ce qu’ils voient, peut-être même pas d’écrire, mais plutôt de "prendre en main" les photographies afin d’y associer des mots, des phrases, leur langage.
Le résultat de ces travaux à double foyer, photographie et écriture, génère dans un premier temps des portfolios, lesquels, rassemblés, constituent le livre, celui-là même que le lecteur feuillette. Et, par ailleurs, ce projet se présentera sous une autre forme, celle d’une exposition.
Pour le livre, constitué de porfolios, quelques pages pour chaque duo, artiste/auteur, comme on peut le voir ci-après, il semble logique d’arrimer, en une forme condensée, les images à leur texte. Ce travail est effectué conjointement par les auteurs des textes et les photographes. Pour l’exposition, exercice d’une autre nature, il s’agit de dissocier à nouveau les textes des images. La question posée est alors : comment préserver la trace visible, montrable, de leur association première, celle qui a fait que les uns et les autres, photographes et auteurs, ont construit ensemble un espace, mêlant l’un à l’autre, ou posant l’un à côté de l’autre ?
Pour ce cinquième événement intitulé Trafic, le livre s’inscrit dans la série Anticaméra et le lieu d’exposition est le pressoir, construit en 1709, un espace dévolu aux expositions dans un ensemble plus vaste, l’abbaye d’Ardenne, qui, près de la ville de Caen, héberge l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC).
Son architecture de pierre est un facteur déterminant, tant du point de vue des contraintes imposées que de celui des potentialités manifestes. Chaque exposition, ici comme ailleurs, est l’occasion de construire une nouvelle proposition scénographique.
Pour cette exposition les photographies et les textes se déploient pour se montrer, afin d’être vues pour les unes, lus pour les autres. Station debout du regardeur, mobilisation des yeux, agilité du cerveau.
Composée d’unités sans cadre, contre-collées, verticales et plates, la photographie doit synthétiquement s’approprier l’espace qu’elle investit ; elle s’y inscrit, s’y intègre librement et logiquement, se pliant aux dimensions des murs, modulant son déploiement entre sensations, ombres de sujets et éclats d’idées.
Les duettistes composent ainsi des "partitions", entremêlant image et texte. Ils investissent un premier territoire, appelé Livre, et un second, nommé Exposition. Si les partitions créées à quatre mains "se couchent" dans les pages de l’ouvrage Trafic, elles "se dressent" dans l’espace tridimentionnel du pressoir à l’IMEC.
La gageure de la correspondance entre l’ouvrage et l’exposition relève indéniablementde l’expérimentation, et ce, dès les premières éditions de cette relation inédite entre texte et image, en témoignent Duels et 282 km (x 2). Le livre n’est pas le catalogue de l’exposition et cette dernière n’est pas la mise sous vitrine du livre.
Si l’exposition cherche à respecter chacune des sept partitions originelles (mise en page et reliée les unes aux autres dans l’ouvrage), elle constitue un nouveau territoire visant à présenter l’esprit des partitions (avec des risques, mais là réside entre autres le travail de laboratoire, fil rouge du projet). Ainsi, ce sont bien deux territoires distincts, portant le même nom, ici, Trafic. À la notion de correspondance évoquée ci-dessus entre livre et exposition, celles de connivence et de résonance semblent plus appropriées pour cerner les enjeux d’une telle aventure.
La mise en espace de chaque esprit relève de choix négociés avec les auteurs et les photographes en prenant en compte une donnée incontournable et déterminante, celle de la configuration du lieu, ici le pressoir. L’exposition ne peut pas faire l’économie de se confronter aux difficultés inhérentes au projet et de tenter de les surmonter. La principale est : comment matérialiser en trois dimensions l’esprit d’une partition?
Pour les écrits, cela peut prendre la forme d’une projection, d’une présentation sur moniteur au même rang qu’une vidéo, de prélèvement de phrases symboliques mises au mur à l’égal de l’image ou mises à terre, de diffusion sonore, de cadres posés sur les photographies et vice-versa… autant de dispositifs possibles et imaginés, réfléchis et discutés, qui s’offrent ainsi aux visiteurs, tout en s’évertuant à dégager un plus petit commun dénominateur, intitulé Trafic (la scénographie tentera de surmonter cette difficulté non des moindres).
De ce pari expérimental naît l’espoir de la contemplation, de l’émotion, de la découverte, de l’altérité, en un mot, de la réaction des visiteurs… et d’autres horizons imprévisibles et imprévus. En témoigne le devenir de la précédente édition : le musée de l’Élysée, à Lausanne, a souhaité prolonger la réflexion dans le champ expérimental en présentant un troisième territoire, un nouveau prototype en quelque sorte. L’institution photographique internationale a proposé la mise au mur en un seul tenant des dix pages de chacune des neuf partitions créées dans l’ouvrage 282 km (x 2) offrant ainsi au regard un continuum, ce que l’ouvrage ne permettait pas, de par la pliure et son format.


Laetitia Talbot, Responsable des expositions et des publications, ENSP
David Gauthier, Responsable des affaires culturelles et des projets "Images", ENS de Lyon
Commissaires de l’exposition


Parcours de formation "écriture et photographie" 2008 - 2010